Une stratégie de rigueur contre-productive

Le Président de la République François Hollande a confirmé lors de son intervention télévisée le 28 mars dernier la stratégie de rigueur voire d’austérité qu’il a choisie pour le pays, par un alignement qui ne dit pas son nom sur la stratégie générale de l’Union Européenne face aux crises des dettes souveraines qui se succèdent depuis 2010.

Mais cette stratégie de rigueur aura-t-elle les effets positifs qu’en espère le Président ? Les exemples de l’Italie, de l’Espagne, faisant suite à ceux du Portugal, de l’Irlande ou de la Grèce n’incitent guère à l’optimisme !

La politique de réduction des déficits et de "dévaluation interne" décidée et imposée par la Troïka (Commission européenne + Banque Centrale Européenne + Fonds Monétaire International) avait été mise en application en Italie par l’ancien commissaire européen Mario Monti, dont la nomination avait été imposée en novembre 2011 au Parlement italien par le gouverneur de la BCE Mario Draghi, la chancelière allemande Angela Merkel et le président français Nicolas Sarkozy. Elle a eu chez nos voisins transalpins les conséquences suivantes :

  • Entrée en récession et destruction accélérée des entreprises
  • Explosion du chômage de 8,5% à 11,6% en à peine plus d’un an (+ 800 000 chômeurs), tout particulièrement chez les jeunes (38% au chômage), lesquels commencent à émigrer pour s’en sortir

Tout cela en étant de plus contre-productive sur l’endettement public qui a augmenté encore plus rapidement du fait de cette politique : de 120% du PIB à la prise de fonctions de Mario Monti à 127% à fin 2012 !

Un exemple historique d’austérité salutaire

Pourtant la rigueur, synonyme de précision et de fermeté en même temps que d’intransigeance et de sévérité, est certainement nécessaire dans la gestion des deniers publics. Et l’austérité peut être un remède indispensable et salutaire, quoique certes déségréable.

Le Général de Gaulle avait inauguré son retour au pouvoir en 1958 par une politique de sévère rigueur, voire de franche austérité. La comparaison du Discours sur la politique de rigueur qu’il prononça le 28 décembre 1958 avec l’intervention de François Hollande le 28 mars 2013 est instructive :

    Avec mon gouvernement, j’ai donc pris la décision de mettre nos affaires en ordre réellement et profondément. Le budget en est l’occasion, peut-être ultime, très bonne en tout cas. Nous avons adopté et, demain, nous appliquerons tout un ensemble de mesures financières, économiques, sociales, qui établit la nation sur une base de vérité et de sévérité, la seule qui puisse lui permettre de bâtir sa prospérité. Je ne cache pas que notre pays va se trouver quelque temps à l’épreuve. Mais le rétablissement visé est tel qu’il peut nous payer de tout.

    (...)

    A moins de recourir à la ruineuse inflation ou de faillir à la France, il n’y a rien d’autre à faire que de réduire de moitié le déficit menaçant. C’est ce qui est décidé.

    (...)

    Cet ensemble, dont toutes les parties se tiennent et se complètent, cet ensemble est grave mais essentiel. Sans l’effort de remise en ordre, avec les sacrifices qu’il requiert et les espoirs qu’il comporte, nous resterons un pays à la traîne, oscillant perpétuellement entre le drame et la médiocrité. Au contraire, si nous réussissons la grande entreprise nationale de redressement financier et économique, quelle étape sur la route qui nous mène vers les sommets !

Voilà qui donne à penser...

De Gaulle / Hollande

Austérité en 1958, austérité en 2013, un parallélisme superficiel... et deux différences majeures !

Il y a naturellement une différence de clarté et de style, à l’avantage de Charles de Gaulle. Il serait malvenu de le reprocher trop durement à François Hollande : tout le monde n’est pas écrivain, ni en mesure d’écrire soi-même ses discours et éléments de langage, et sans doute ce n’est pas là l’essentiel de la charge d’un Président de la République.

Beaucoup plus important, la situation de la France en 2013 est fort différente de celle qui prévalait en 1958, au-delà de points communs évidents tels :

  • Creusement depuis plusieurs années du déficit du commerce extérieur : préoccupant à -2% du PIB en 1956 et 1957, nettement plus grave depuis 2007 avec chaque année -3,5% du PIB ou pire, et jusqu’à -5,7% du PIB en 2011
  • Creusement du déficit de l’Etat : significatif dans les années 1950 entre -2% et -1% du PIB , massif aujourd’hui avec -4,3% du PIB en 2012 après des déficits au-delà de -7% en 2009 et en 2010

Pour évaluer les chances de succès d’une politique d’austérité dans la situation actuelle, pour imaginer à quoi devrait ressembler l’actualisation d’une politique d’austérité salutaire telle que menée à partir de 1958, il faut tout d’abord tenir compte de deux différences majeures entre la situation d’alors, et celle d’aujourd’hui :

1) Pouvoir des banques et Gravité de la situation des finances publiques 

  • Dette publique à environ 32% du PIB en 1959, 90% aujourd’hui, d’où une lourde charge pour le paiement annuel des intérêts : 1,2% du PÏB en 1959, plus de 2% du PIB aujourd’hui en dépit des taux d’intérêt fort bas sur la dette souveraine française
  • Monnaie indépendante alors, non aujourd’hui, ce qui bloque tout ajustement de la balance commerciale et des taux d’intérêts par baisse du taux de change
  • Possibilité d’emprunt de l’Etat à la Banque de France alors, impossible aujourd’hui suite à la loi Pompidou-Giscard de 1973 qui l’interdit
  • L’essentiel du secteur bancaire alors sous contrôle public –les nationalisations de 1945 étaient un passé récent–, le secteur bancaire aujourd’hui massivement privé, tandis que ses risques restent garantis par l’Etat
  • Secteur bancaire tirant aujourd’hui une bonne part de ses profits et une part démesurée de ses risques de la spéculation, ou pour être plus précis de l’agiotage ("ventes à découvert", c’est-à-dire des paris sur l’évolution de la valeur d’actifs que l’on n’a pas acheté), lequel était incomparablement moins développé en 1958

2) Risques sur la croissance mondiale du fait des contraintes énergétiques et écologiques ainsi que des fragilités liées à l’interdépendance

  • Croissance européenne et mondiale forte en 1958, aujourd’hui très faiblarde et de plus dépendante de programmes massifs généralisés d’ "assouplement quantitatif" (comprendre : la planche à billets), avec tous les risques qui y sont évidemment liés
  • Aujourd’hui, risque sérieux à court/moyen terme de nouveaux effondrements financiers et monétaires mondiaux, faisant entrer le monde en dépression. Pas de risque équivalent en 1958
  • Production pétrolière mondiale alors en expansion constante, avec découverte de nouveaux gisements massifs, permettant une croissance économique par simple mise en production suivant des méthodes déjà connues. Croissance mondiale aujourd’hui au contraire fortement contrainte à moyen/long terme par le plafonnement de la production pétrolière mondiale, prélude à sa décroissance, qui sera suivie plus tard par la décroissance de la production des autres sources d’énergie fossile (gaz, puis enfin charbon)
  • D’ores et déjà, lourde augmentation de la facture pétrolière, le prix moyen du baril ayant été multiplié par un facteur 2,5 entre 2004 et 2012, des environs de 30 euros jusqu’aux environs de 75 euros, ce qui n’a pas peu contribué au creusement de la balance commerciale, tandis que le pétrole était bon marché en 1958
  • Production de la plupart des biens alors largement auto-centrée en France ou du moins sur le continent européen, aujourd’hui largement internationalisée et de plus concentrée, donc à la fois plus efficace et plus fragile : inondations de 2011 en Thaïlande et la production mondiale de disques durs a des ratés d’où pénurie pendant plusieurs mois, tsunami au Japon et Peugeot-Citroën organise des débrayages par manque de pièces détachées...
  • Contrainte écologique au niveau mondial en 1958 encore lointaine dans l’avenir, aujourd’hui beaucoup plus proche. Nous approchons du moment où ces facteurs limiteront la croissance voire forceront une décroissance fort désagréable. Citons par exemple :

On peut naturellement trouver d’autres différences telles que des dépenses militaires alors énormes (guerre d’Algérie oblige), aujourd’hui petites voire faiblardes, ou encore un parti communiste alors massif, aujourd’hui fantômatique... Mais ce sont les deux différences majeures ci-dessus qui sont vraiment décisives.

L’austérité : salutaire aujourd’hui... à certaines conditions !

L’actualisation 2013 de la politique de redressement et d’austérité initiée en 1958 pourrait se penser suivant deux axes forts :

1) Dégager le pays des contraintes qui lui ont progressivement été imposées depuis plusieurs décennies

  • Mise au pas du secteur financier avec suppression de la garantie d’Etat sur les risques pris par des institutions privées, acceptation de la faillite des banques imprudentes ou au mieux s’il en est encore temps de leurs seules activités les plus dangereuses, éventuellement nationalisations à la 1945 des banques survivantes
  • Nouveau franc mis en place au taux de 1 NF = 1 ancien €, une réforme beaucoup plus simple qu’il n’y paraît à l’heure où l’essentiel de la monnaie est électronique. Toutes les dettes intérieures et extérieures passent au NF, au même taux de 1 NF pour 1 ancien €, de même que les dettes avaient été passées d’une monnaie à l’autre lors de l’instauration de l’euro dans la période 1999-2002
  • Primauté de la loi nationale sur les directives & règlements européens, permettant de sécuriser ces réformes financières et monétaires contre toute tentative de la superstructure européenne de déclarer irrecevable la législation française -ce que les traités actuellement en vigueur permettent bel et bien

2) Protéger l’économie contre un effondrement à moyen / long terme

  • Programme de transition énergétique hors des énergies fossiles, d’échelle massive type "projet Manhattan" ou "projet Apollo" :
    • A court terme en premier lieu par économies d’énergie, transfert volontariste à l’électricité nucléaire de rôles aujourd’hui dévolus à des sources fossiles (chauffage, énergie industrielle) et construction de réacteurs de nouvelle génération EPR par packs de six, comme les canettes de bière !
    • A moyen terme recherche et développement pour mettre au point le nucléaire de quatrième génération (thorium), la biomasse de seconde génération (cellulose), l’extraction de l’uranium de l’eau de mer, le stockage de l’électricité
  • Programme financé par une taxe carbone augmentée régulièrement et décourageant de plus en plus l’utilisation d’énergies fossiles. Cette taxe devrait naturellement s’appliquer également au "contenu en carbone" des importations c’est-à-dire à l’énergie dépensée par le pays producteur en fonction de l’énergie fossile qu’utilise ce pays -une information publique et très difficile à maquiller. Elle constituerait également un protectionnisme idéologiquement défendable et vertueux contre tout dumping à base d’énergie sale, comme le charbon particulièrement polluant en CO2 et constituant une part significative de l’avantage compétitif de la Chine

C’est seulement à ces deux conditions qu’un programme d’austérité -équilibre budgétaire, Etat plus resserré, le moment venu désendettement- deviendrait possible et salutaire, plutôt que d’enfoncer les pays dans la crise comme cela a été l’effet systématique de l’austérité version Union Européenne dans tous les pays où elle a été appliquée depuis 2010. Alors, et alors seulement, le Président de la République et son gouvernement pourraient à bon droit appeler les Français à l’effort et à se serrer la ceinture pour remonter la pente, sachant que les sacrifices ne seraient pas en vain.

La stabilité monétaire : bénéfique... à condition de l’établir au bon niveau !

Une phrase révélatrice du discours de De Gaulle :

    Ce qu’il y a d’artificiel dans la valeur de notre monnaie provient, certes, du déséquilibre de nos affaires, mais n’en est pas moins une cause permanente de difficultés.

    C’est pourquoi, tout en remédiant au désordre fondamental, nous devons placer notre franc sur une base telle qu’il soit inébranlable. Nous le faisons donc, regrettant d’en abaisser le taux, mais tirant les conséquences de négligences prolongées.

C’est dire qu’une politique de stabilité monétaire ne se conçoit qu’en tirant d’abord toutes les conséquences du passé. En 1958, cela signifiait la dévaluation du franc, décidée par De Gaulle en même temps que la politique d’austérité. En 2013, cela signifie la sortie du système de monnaie unique Euro, permettant le rééquilibrage de la valeur de la monnaie française par rapport à celle de l’Allemagne, à un taux plus bas.

Une fois ces conséquences acceptées ("regrettant d’en abaisser le taux"), il est possible et d’ailleurs bénéfique d’avoir une monnaie forte, ce qui sera la simple conséquence d’une économie performante et d’un budget sous contrôle. En 1965, De Gaulle pouvait se payer le luxe de proposer le retour à l’étalon-or qui avait été le système monétaire mondial jusqu’en 1914, provoquant la fureur des Etats-Unis ne voulant pas renoncer à leur "privilège exorbitant" de voir leur propre monnaie jouer le rôle autrefois dévolu au métal jaune... Quelle différence avec la situation trouvée en 1958 !

Si l’on veut une monnaie stable, il faut choisir un taux réaliste, et ensuite seulement s’y tenir mordicus. On peut discuter de savoir si un franc français devrait valoir 0,85 mark allemand, ou un peu plus, ou un peu moins ; il est quoi qu’il en soit certain qu’avoir le même euro de chaque côté du Rhin est totalement irréaliste compte tenu des différences d’inflation entre les deux pays durant la décennie passée et met notre économie en déséquilibre profond, déséquilibre qui ne peut de toutes façons que déboucher sur un bouleversement.

Il ne s’agit que de choisir entre le bouleversement maîtrisé résultant de réformes même profondes, et les bouleversements douloureux et stériles provoqués par la poursuite d’une politique Union Européenne dont l’échec est patent chez tous nos voisins qui l’ont subie.



Ceci est un article ‘presslib’, c’est-à-dire libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Le Noeud Gordien est un site d’analyses et d’investigations sur la Crise. Article écrit par Alexis TOULET. Merci de visiter notre site