Le 5ème rapport du GIEC, l’organisme international chargé de rassembler et de synthétiser l’état de la recherche sur le changement climatique, a été publié le 27 septembre 2013 dans ses bases scientifiques. Voici une première traduction –non officielle– en  français sur le site gouvernemental dédié au développement durable.

A cette occasion, les climato-sceptiques relancent la polémique sur les conclusions du GIEC, qu’ils mettent en doute. Qu’est-ce qu’être climato-sceptique ? C’est remettre en cause la réalité du réchauffement du climat de la Terre, la prévision qu’il doive continuer durant le restant de ce siècle, ou encore son origine humaine. L’existence du débat n’est guère surprenante compte tenu des enjeux gigantesques : le réchauffement menace entre autres production agricole, écosystèmes marins, courants océaniques et infrastructures portuaires, tandis que limiter ses effets autant que faire se peut suppose une transformation difficile, coûteuse et de longue haleine de l’ensemble des activités économiques… Serait-ce pour rien ?


Commençons par ce qui est le plus fondamental et qui ne fait pas débat

1) Le contenu en CO2 de l’atmosphère a augmenté d’un niveau préindustriel de 280 ppm (parties par million) au niveau actuel de 400 ppm

Ce niveau n’est d’ailleurs absolument pas stabilisé, il est en cours de forte augmentation : en l’an 2000, nous étions aux alentours de 370 ppm.

Voici une excellente animation montrant l’évolution du contenu de l’atmosphère en CO2 à différentes échelles temporelles jusqu’à 800 000 ans dans le passé.

L’augmentation du CO2 atmosphérique depuis le milieu du XIXème siècle est d’une violence sans précédent, ce que l’on visualise bien sur une échelle de temps de deux millénaires, par exemple au temps 2mn20s de la vidéo. La partie la plus récente de la courbe apparaît presque verticale.

2) Cette augmentation violente du CO2 atmosphérique est le résultat de l’activité humaine

En cause la consommation d’énergie fossile ainsi que certaines autres pratiques comme la déforestation. Les preuves sont nombreuses : la corrélation temporelle entre industrialisation et augmentation du CO2 est étroite, les quantités correspondent (en tenant compte du fait qu’une partie du CO2 est absorbé par l’océan), enfin aucune autre explication n’existe, c’est-à-dire qu’aucun mécanisme naturel connu ne pourrait produire une augmentation de la concentration en CO2 si grande et si rapide.

3) Le CO2 est un gaz à effet de serre (GES) qui provoque un forçage radiatif

Tout comme plusieurs autres gaz dont la concentration dans l’atmosphère a augmenté du fait de l’activité humaine (le méthane principalement) il provoque un forçage radiatif c’est-à-dire qu’il augmente la quantité d’énergie que la Terre absorbe du rayonnement solaire qu’elle reçoit en diminuant la quantité d’énergie que la Terre renvoie vers l’espace. Cet effet de serre est de la physique assez simple, il est connu depuis longtemps et son existence ne fait pas débat. S’il n’existait pas, on ne pourrait construire de serres !

4) Dans les 800 000 dernières années, le niveau de CO2 a été fortement corrélé avec la température moyenne de la planète

Le niveau de CO2 a oscillé dans les derniers 800 000 ans entre le niveau 280 ppm et le niveau 180 ppm, ce dernier correspondant aux âges glaciaires.

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CO2 et températures passés, mesurés par carottage des glaces de l’Antarctique

La concentration en CO2 a été fortement corrélée à la fois avec la température moyenne à la surface de la planète et avec le niveau des mers. On peut se reporter par exemple à cette vidéo décrivant la Terre il y a 18 000 ans. La température était 4,5°C en-dessous de la température moyenne actuelle, le niveau des océans 100 m plus bas. 

A noter aussi que la dernière fois que le CO2 était à 400 ppm comme en cette année 2013 semble avoir été au Pliocène il y a 2,5 à 5 millions d’années. La température était alors plus élevée de 2 à 3°C, le niveau de la mer de 10 à 40 mètres. A noter que la reconstruction du niveau de CO2 dans la période avant 800 000 ans dans le passé est nécessairement indirecte, car elle ne peut plus s’appuyer sur des échantillons d’atmosphère ancienne préservés par la glace, elle est donc plus incertaine.

Il vaut la peine de préciser que les mesures initiales du niveau de CO2 dans les 800 000 dernières années faisaient démarrer les remontées de la température plusieurs siècles avant les remontées du taux de CO2, ce qui pouvait surprendre et être interprété comme un facteur de doute : n’était-ce pas alors la température qui faisait augmenter le CO2, et non l’inverse comme dans l’effet de serre ? L’explication si ce décalage était avéré –ce  que l’on croyait jusqu’ici– serait  qu’une augmentation initiale de température due à un autre facteur –modification de l’orbite de la Terre, etc...– aurait provoqué l’augmentation du CO2 atmosphérique, laquelle ensuite aurait renforcé l’augmentation de la température en une boucle auto-entretenue jusqu’à atteindre un nouveau point d’équilibre : la fin de la sortie de glaciation. C’est expliqué par exemple ici.

Mais les dernières études du début de cette année affinant les mesures précédentes font disparaître ce décalage, qui semble n’avoir été qu’un artefact.


Continuons avec des points qui, à un degré ou un autre, font débat

5) Le niveau de CO2 est fortement corrélé avec la température moyenne, y compris quand il est supérieur à 280 ppm

Que la corrélation existe lorsque la concentration de CO2 est comprise entre 180 et 280 ppm est prouvé par le point 4. L’existence du forçage radiatif n’étant pas en cause, il est extrêmement naturel de supposer que cette corrélation continue au-delà de 280 ppm : il faut bien que la chaleur supplémentaire accumulée sur Terre par forçage aille quelque part ! Reste cependant à le vérifier, ce qui revient à le vivre.

Un point important à souligner : la corrélation n’est pas forcément immédiate à notre échelle de temps, ni d’ailleurs linéaire ! Il faut du temps pour que le forçage radiatif fasse son effet et augmente la température, il faut du temps pour que l’augmentation de la température élève le niveau de la mer. Et la Terre étant un système suprêmement complexe, rien n’interdit que la chaleur supplémentaire accumulée du fait du forçage n’apparaisse d’abord à un endroit, puis à un autre. Par exemple, dans l’océan, avant l’atmosphère.

6) La rapidité d’alignement de la température moyenne et du niveau de la mer avec la concentration en CO2 est... inconnue

Dans le passé, des changements de concentration à échelle de millénaires provoquaient des changements de température et de niveau des mers à échelle de millénaires. Stimulus et réaction avaient des échelles de temps comparables, bien au-delà de l’échelle d’une vie humaine.

Le stimulus massif CO2 (et autres GES) d’origine humaine est cette fois extrêmement rapide à échelle de la Terre : passage de 300 à 400 ppm en un siècle environ, puis poursuite de l’augmentation jusqu’à 500 à 800 ppm le siècle suivant – en fonction des décisions que prendra notre espèce. Ce stimulus sera-t-il suivi d’une réaction étalée sur plusieurs millénaires... ou plusieurs siècles... ou sera-t-il beaucoup plus rapide ? La réaction sera-t-elle de forme linéaire, c’est-à-dire progressive à rythme à peu près constant ? Ou bien non-linéaire : un seuil étant atteint, les bouleversements s’accéléreraient brutalement ?

7) Il est cependant considéré très probable que le réchauffement résultant de l’activité humaine a déjà commencé

Le réchauffement climatique d’origine humaine est certain, du fait des points 1 à 3 ci-dessus, mais cela ne prouve pas en soi qu’il ait déjà commencé. L’échelle de temps de la réaction du système Terre au stimulus en GES que nous avons apporté est sujette à étude, comme indiqué au point 6.

Le rapport du GIEC considère comme très probable que le réchauffement tendanciel observé depuis la première moitié du XXème siècle est bien le début du réchauffement résultant du CO2 d’origine humaine, lequel continuera sur sa lancée sur plusieurs siècles même si toute émission humaine de CO2 cessait, vu la très grande inertie du système Terre. Il faut noter que le récent ralentissement du réchauffement à la surface terrestre n’est pas contradictoire avec l’idée que le réchauffement récent est bien d’origine humaine. Voici le graphe de la température moyenne en surface telle que mesurée depuis 1850 :

Mesures de la variation de température moyenne mondiale dans les 150 dernières années

On observe que le mouvement de la température n’a pas été linéaire : augmentation 1ère moitié du XXème siècle, stabilité approximative jusque 1975, augmentation jusque vers 2000-2005, stabilité approximative depuis. Les causes de cette non-linéarité ne sont pas nécessairement claires, mais elle n’a rien de surprenant en soi : nous parlons bien d’un système complexe, la Terre, avec de multiples parties et rétroactions.

8) Des rétroactions positives pourraient apparaître qui amplifieraient élévation de la concentration du CO2, de la température et autres conséquences

Les conséquences finales de l’augmentation du CO2 par les hommes dépendent aussi des rétroactions du système Terre, c’est-à-dire des multiples effets qui en résulteront, depuis les courants marins jusqu’à la couverture forestière, nuageuse ou glaciaire, parmi bien d’autres. Certaines rétroactions sont négatives, c’est-à-dire qu’elles contrecarrent le stimulus d’origine, d’autres positives : elles l’amplifient. Ces rétroactions ne sont pas complètement modélisées, loin s’en faut.

Il existe par exemple un risque de dégazage du méthane contenu dans le pergélisol des zones polaires, c’est-à-dire le sol gelé de ces latitudes. Ces régions pourraient se réchauffer bien davantage que la moyenne terrestre, provoquant un dégagement massif de méthane, lequel est un très puissant GES, vingt-cinq fois plus que le CO2. Si ce risque était avéré, la rétroaction positive serait de grande ampleur, le dégazage pouvant même dans un scénario catastrophe devenir auto-entretenu. La question n’est pas entièrement clarifiée pour l’instant, les recherches continuent.


Quelles sont alors les principales  questions ?

La confirmation absolue, au-delà de la forte probabilité actuelle, du fait que le réchauffement passé est déjà anthropique serait certes intéressante, mais les questions les plus importantes sont au fond en deux groupes :

1) Echelle de temps de la réaction du système Terre, et étendue des rétroactions positives

- Le réchauffement final sera-t-il de 2 à 3°C, ou au-delà de 5 °C, voire bien au-delà ?

- Sera-t-il atteint en deux ou trois générations ? Siècles ? Plus tard ?

- Questions analogues concernant l’élévation du niveau des mers, l’acidification des océans...

- Quelles non-linéarités dans ces phénomènes ? Quels effets de ralentissement ou au contraire d’accélération faut-il craindre ?

Nous avons déjà mis en mouvement le système Terre, et ses réactions ne sont pas parfaitement connues, loin s’en faut. Augmenter encore le stimulus en gaz à effet de serre, c’est prendre des risques supplémentaires, que ce soit pour nous, pour nos petits-enfants, ou pour nos lointains descendants.

2) Les autres questions principales portent donc sur nos actions

- Utiliserons-nous "seulement" la totalité du pétrole et du gaz conventionnel ? Ceci limiterait nos émissions de CO2, mais nous voici arrivés à l’époque du pic du pétrole, le pic du gaz n’est plus très loin, ce qui signifie une diminution de nos ressources en énergie fossile… laquelle est le carburant principal de nos économies

- Ou bien utiliserons-nous encore la totalité du charbon, et en plus le gaz et le pétrole de schiste, plus éventuellement même les hydrates de méthane, c’est-à-dire le méthane gelé du fond des océans ? C’est la question de la transition vers des énergies non fossiles, et de la possibilité même d’effectuer cette transition suffisamment rapidement sans effondrement de la civilisation industrielle...


Sables, schistes, charbons : reporter la transition hors de l’énergie fossile, et après nous le déluge !


Quels sont les scénarios ?

Un scénario pessimiste serait : l’espèce humaine échoue à effectuer une telle transition, et pour continuer encore quelques décennies la civilisation industrielle elle consomme charbon et schistes, ce qui augmente suffisamment l’étendue du changement climatique pour amputer drastiquement les moyens à la disposition de l’humanité post-civilisation industrielle. Amputation qui ne pourrait qu’avoir des conséquences humaines terribles, en termes de diminution brutale de la population.

L’impact humain résulterait des conséquences d’un réchauffement important sur la productivité agricole, la productivité marine (pêcheries), le transport maritime (ports à reconstruire), la capacité à nourrir correctement une population humaine qui augmente, et les risques dérivés de guerres et de troubles à la stabilité sociale en général :

- La situation agricole devrait se tendre même sans augmentation de la température : population qui augmente, changement des habitudes alimentaires (plus de viande), érosion des sols, engrais issus de l’énergie fossile devenant plus rares. Elle sera encore plus contrainte avec les conséquences du réchauffement : météo plus extrême, disponibilité de l’eau

- La productivité marine est gravement affectée par l’acidification des océans, laquelle résulte de l’augmentation du CO2 atmosphérique

- La montée des océans est estimée entre 30 cm et 1 mètre d’ici la fin du siècle, et même la valeur la plus petite causerait déjà des problèmes

- Les difficultés à nourrir correctement l’humanité, la disponibilité de l’eau et la montée des océans pourraient provoquer des exodes massifs de réfugiés et d’autres événements violents, soulèvements, guerres et guerres civiles

Ce scénario n’est pas le seul possible, mais il constitue un risque bien réel.

Un meilleur scénario serait de faire de la transition hors des fossiles un objectif majeur et prioritaire pour l’humanité, permettant d’éviter l’effondrement final de la civilisation industrielle tout en réalisant assez rapidement la transition pour éviter d’utiliser trop de charbon et de schistes. En croisant les doigts ensuite pour que l’effort soit suffisant pour éviter des bouleversements du système Terre trop rapides et inconfortables, et en s’y adaptant de toutes façons autant que nous le devrons.

Ce scénario pourrait devenir réaliste, mais seulement au prix d’efforts très importants, voire énormes, faisant l’objet d’accords internationaux.

Nous en sommes aujourd’hui hélas très loin.




Ceci est un article ‘presslib’, c’est-à-dire libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Le Noeud Gordien est un site d’analyses et d’investigations sur la Crise. Article écrit par Alexis TOULET. Merci de visiter notre site