Suite à l’assassinat d’un couple de policiers le 13 juin à Magnanville dans les Yvelines, la palme de la surréaction irréfléchie et dangereuse revient au ci-devant Laurent Wauquiez, du parti Les Républicains (LR), qui veut une «vraie loi d’exception» contre les fichés S

L’ancien ministre demande une réforme de la Constitution pour permettre «une vraie loi d’exception» pour «les terroristes et tous ceux qui sont complices ou suspectés de rapprochement avec des activités terroristes».

Concrètement, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes aimerait que les fichés S soient «enfermés» ou «expulsés» de France. (...) Et si les individus concernés ne sont que Français, il prône la création de «centres d’internement» où ils seraient enfermés «avant qu’ils ne passent à l’acte afin de les isoler pour évaluer leur degré de dangerosité». «Une mesure de police administrative prise sous le contrôle du juge», détaille le député de Haute-Loire qui veut incarner la ligne la plus dure de son parti, quitte à rogner sur les Droits de l’Homme.

De quoi parle le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes ?

Il s’agit de mettre hors d’état de nuire une catégorie de personnes définies uniquement par les soupçons que leur portent les services compétents, ou encore par leurs opinions ou fréquentations, nullement par les actes qui pourraient leur valoir condamnation devant un tribunal. Les étrangers seraient seulement expulsés, les Français quant à eux seraient emprisonnés dans ces "centres d’internement".

S’agissant des fichés S pour islamisme radical, qui sont environ 10 500, une partie d’entre eux des étrangers plutôt que des Français, il s’agit donc de plusieurs milliers de personnes qui feraient l’objet d’un emprisonnement indéfini suite à de simples suspicions, sans qu’ils puissent être poursuivis devant la justice en fonction de faits prouvables en relation avec une loi définie.

Il s’agit de créer un Guantanamo français, sauf qu’il hébergerait jusqu’à 100 fois plus de détenus, et que ceux-ci seraient des Français, non des étrangers - l’Amérique n’a emprisonné sans jugement à Guantanamo que des étrangers, quant à ses nationaux ils sont protégés par l’Etat de droit américain et ne peuvent être emprisonnés sans jugement. 

Wauquiez a rappelé la devise "pas de liberté pour les ennemis de la liberté", qui date de la période la plus extrême de la Révolution.

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Pas de liberté pour les ennemis de la liberté

Il ne sera pas suivi, du moins pour l’instant. Mais comme la campagne terroriste anti-occidentale et en particulier anti-française de l’Etat Islamique (Daech) n’est hélas certainement pas terminée, et pourrait très possiblement s’intensifier encore, la proposition de Wauquiez pourrait fort bien resurgir plus tard.

Quoi qu’il en soit c’est sauf erreur la première fois qu’un politicien de premier plan dans un pays occidental a proposé de s’asseoir sur l’habeas corpus, s’asseoir sur la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, et d’emprisonner des gens sur la foi de simples soupçons ou d’opinions. Le si caricaturé Donald Trump, candidat républicain à la présidentielle américaine, n’a jamais proposé quelque chose d’aussi extrême. Il est permis de douter qu’il oserait.

Un précédent - mais dans des circonstances autrement plus graves et pressantes

La dernière fois qu’une telle politique a été appliquée dans un Etat démocratique, c’était en Grande-Bretagne en 1940, lorsque le parti fasciste britannique le BUF a été interdit, et 741 de ses membres dirigeants y compris son chef Sir Oswald Mosley - que ses partisans appelaient The Leader, la traduction anglaise de l’allemand Der Führer - ont été mis en prison sans jugement pour toute la durée de la guerre, du seul fait de leurs opinions, et en contravention évidente avec le principe du habeas corpus comme avec les droits traditionnellement reconnus aux citoyens britanniques.

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Sir Oswald Mosley, chef de la British Union of Fascists, passant en revue ses partisans

En sommes-nous vraiment là ?

Or :

  • Nous ne sommes pas avec la campagne d’attentats djihadistes dans une situation si grave qu’il faille émuler le précédent britannique
  • Robespierre n’est pas le meilleur dirigeant que la France eut jamais, il en est même assez loin
  • La panique n’est pas bonne conseillère
  • Et jeter par la fenêtre l’Etat de droit, avec la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 par-dessus le marché, serait vraiment une très mauvaise idée - à moins d’y être véritablement forcé, comme il est permis de penser que la Grande-Bretagne l’était en 1940

Mais ce n’est absolument pas le cas. Nous ne nous préparons pas à affronter la deuxième puissance industrielle et première puissance scientifique mondiale devenue agressive, ce qu’était l’Allemagne nazie en 1940.

Oui la situation est sérieuse, oui les salafistes djihadistes sont à bien des égards moralement les équivalents des nazis... mais leur puissance totale n’est qu’une minuscule fraction, une fraction ridicule de celle du Troisième Reich.

Et la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen préalable et fondation de notre Constitution, et les droits dont bénéficient tous les citoyens français y compris celui de n’être emprisonné qu’en vue d’un jugement et pour répondre de la violation d’une loi précise, ne doivent pas être traités par-dessous la jambe.