La balance commerciale française dérive toujours plus vers le rouge. Ce qui signifie qu’au lieu de payer nos importations avec des exportations, nous les payons de plus en plus avec des reconnaissances de dette : du « papier ».

Balance commerciale de la France

Source : INSEE

Cela ne peut pas durer éternellement, d’autant que nos industries se déplacent de plus en plus vers des pays où la production revient moins cher. Plus tôt ou plus tard, d’une manière ou d’une autre, il sera nécessaire d’équilibrer notre commerce. Et plus tard on s’y prend, plus ce sera difficile vu les dettes accumulées envers l’étranger, et surtout vu notre base industrielle qui aura encore plus diminué.

Quelles sont les scénarios envisageables pour parvenir à cet équilibre ?

Une première solution est théoriquement souhaitable, mais malheureusement impraticable pour obtenir des résultats suffisamment rapides :

1. Augmenter très fortement la compétitivité hors prix des produits français

Qu’est-ce que la compétitivité hors prix ?

- Il s’agit de la qualité, de la rareté, de l’avance technologique de nos produits, en somme de l’ensemble des facteurs qui rendent un produit désirable, mis à part son prix

Pourquoi est-ce théoriquement attirant ?

- Augmenter la compétitivité hors prix des produits français, c’est la voie royale pour compenser nos coûts de production élevés, eux-mêmes le résultat de salaires élevés ainsi que d’une protection sociale de très bon niveau, si on les compare à l’échelle mondiale

Ça pourrait marcher ?

- Hélas, même dans le meilleur des cas, pas suffisamment rapidement. C’est souhaitable certes, mais cela n’est possible que sur le long terme (dix à vingt ans). Or vu la désindustrialisation en cours, vu la taille de nos déficits commerciaux, nous n’avons certainement pas autant de temps.

Une solution est possible... mais très peu souhaitable :

2. Diminuer fortement nos importations par dépression économique

Quel est l’effet d’une dépression sur le commerce extérieur ?

- Etant donné que le régime de libre-échange nous empêche de contingenter les importations et que nous sommes obligés en tout état de cause d’acheter à l’étranger nos matières premières, notamment le pétrole qui a augmenté d’un facteur 2,5 dans les huit dernières années (et va continuer à le faire), une « solution » possible pour équilibrer notre commerce serait une dépression économique semblable à celles qui ont frappé la Grèce et l’Espagne...

Comment ça marche ?

- Avec 25% de chômage et une économie plus petite de 10 ou 15% - à peu près la situation de la Grèce aujourd’hui -, les gens ont moins d’argent pour acheter à l’étranger et les importations diminuent mécaniquement. Mais à quel coût...

Il ne reste que deux solutions réellement envisageables pour corriger le déséquilibre de nos échanges extérieurs suffisamment rapidement. Toutes deux sont des options réelles. Mais elles n’ont pas les mêmes conséquences pour l’économie de la France, et elles avantagent des groupes différents de personnes...

3. Réaliser une « dévaluation interne »

De quoi s’agit-il ?

- Eh bien on diminue le coût du travail tout en gardant la même monnaie. En pratique, les salariés et plus généralement les travailleurs reçoivent moins, donc le prix des produits fabriqués dans le pays diminue, ce qui aide les exportations, tandis que les travailleurs peuvent moins acheter de produits étrangers. Donc le commerce extérieur se redresse.

Qui supporte le poids exclusif de l’ajustement ?

- Les 95% si ce n’est 99% des Français les plus modestes, dont les salaires diminuent fortement, qu’il s’agisse d’ailleurs du salaire direct - le chiffre en bas de la fiche de paie - ou de formes indirectes de salaire comme la protection sociale laminée pour permettre de sabrer les charges sur salaire

Qui en profite ?

- Deux groupes : les créditeurs étrangers et les Français les plus favorisés. En effet, l’ajustement de l’économie est réalisé sans dévaluer la monnaie, donc les créditeurs ne participent pas à l’effort, pas davantage que les plus fortunés dont les actifs financiers ne sont pas touchés, pas davantage que les travailleurs les plus qualifiés qui tireront leur épingle du jeu

Qui applique en ce moment une telle politique ?

- Les pays du Sud de l’Europe, ce qui de plus en plus inclut et va inclure la France. Les résultats sont un certain redressement de la balance commerciale, au prix d’un chômage massif, chômage démentiel chez les jeunes les poussant à l’émigration, récession ou dépression, augmentation de la dette de l’Etat par rapport au PIB puisque ce dernier diminue.

François Hollande, qui jusqu’ici appliquait la stratégie à moitié et en rechignant, a pris l’engagement verbal de désormais l’appliquer complètement. Le gouvernement et la presse allemande saluent le changement de ton, mais attendent « des actes ». Au fur et à mesure qu’il appliquera sans plus rechigner la politique de Bruxelles et de Berlin, les mêmes conséquences se retrouveront en France qu’en Italie, en Espagne ou en Grèce.

Pour prendre l’exemple de l’Italie, le chômage des jeunes dépasse les 40% (25% chez nous), la destruction de l’industrie continue néanmoins, l’émigration des jeunes s’intensifie, la dette de l’Etat est fortement à la hausse.

Bien sûr il y aura des conséquences sociales (manifestations) et politiques... mais il n’y a pas d’élections entre 2014 et 2017, et si les gouvernements italien, espagnol etc. ont pu rester droit dans leurs bottes et le petit doigt sur la couture du pantalon face à Bruxelles et Berlin même en face de mouvements sociaux puissants, le gouvernement français devrait y arriver aussi.

4. Créer une monnaie nationale pour la France : un nouveau Franc

Comment ?

- Eh bien, l’unité de compte devient le nouveau Franc, qui au jour J de la transition a la valeur d’un ancien euro. Tous les comptes, toutes les dettes, tous les prix passent au nouveau Franc : celui qui avait 5 000 € sur son compte épargne a 5 000 nouveaux francs, celui qui était payé 2 000 € est payé 2 000 nouveaux francs, la dette publique n’est plus de 1 900 milliards d’euros mais de 1 900 milliards de nouveaux francs, etc. La monnaie électronique est transformée immédiatement : c’est un simple jeu d’écriture. Les billets, qui ne représentent qu’une faible part de la masse monétaire totale et donc sont moins urgents à transformer, passent au nouveau Franc en 6 mois à 1 an, le temps de préparer les nouvelles espèces. Pendant la période intermédiaire on utilise les anciens billets euro comme s’il s’agissait de billets nouveau Franc. Par exemple je paie mes courses de 45 francs avec un billet de 50 euros et le commerçant me rend un billet de 5 euros

Quelles conséquences sur la balance commerciale ?

- L’ajustement est réalisé principalement par évolution du cours de la monnaie. Il s’agit en somme d’une dévaluation externe, plutôt que d’une dévaluation interne. Les entreprises retrouvent des coûts plus en rapport avec la valeur des produits qu’elles proposent, ce qui diminue fortement les tentations de délocalisation et en pratique stoppe la désindustrialisation donc l’extension du chômage

Qui supporte l’effort d’ajustement ?

- Toutes les parties prenantes, à part somme toute équilibrées. Les salariés supportent une diminution de leur pouvoir d’achat en produits étrangers... mais seulement cela - sur ce sujet, voir le paragraphe suivant. Les créditeurs étrangers supportent une diminution de la valeur de leur dette exprimée en dollars. Les travailleurs les plus qualifiés participent au même degré que les 95% ou 99% de moins bien qualifiés

Et la suite ?

- Eh bien la suite dépendra de ce que nous en ferons ! L’ajustement permet le succès économique, notamment en empêchant l’Allemagne de continuer à profiter du moins-disant salarial qu’elle a forcé chez elle pour conquérir des parts de marché sur tous ses partenaires européens. L’ajustement à lui seul ne suffit pas ...il est « seulement » indispensable !

Voir la politique de rigueur décidée par De Gaulle en 1958, accompagnée d’une dévaluation du franc qui était nécessaire... mais a été suivie du maintien d’un franc fort qui découlait d’une économie performante. Voici une citation révélatrice du discours prononcé par le chef de l’Etat à cette occasion :

Ce qu’il y a d’artificiel dans la valeur de notre monnaie provient, certes, du déséquilibre de nos affaires, mais n’en est pas moins une cause permanente de difficultés.

C’est pourquoi, tout en remédiant au désordre fondamental, nous devons placer notre franc sur une base telle qu’il soit inébranlable. Nous le faisons donc, regrettant d’en abaisser le taux, mais tirant les conséquences de négligences prolongées.

Une monnaie stable est éminemment souhaitable. Mais elle ne sera bénéfique que si elle est fixée au bon niveau. La parité monétaire avec l’Allemagne n’est plus possible après une décennie de dumping salarial de l’autre côté du Rhin, sans compter le taux d’intérêt unique pour tous les pays de l’Eurozone donc forcément trop élevé pour les uns et trop bas pour les autres.

Diminution du pouvoir d’achat liée à la sortie de l’Euro : quelques estimations

Il ne saurait être question de dissimuler les conséquences négatives pour le pouvoir d’achat de la création du nouveau Franc. La sortie de l’euro, ce n’est certes pas « demain on rase gratis », c’est bien « nous tirons les conséquences de l’état réel de notre économie en répartissant les efforts sur tout le monde plutôt qu’en écrasant les salariés pour protéger les créditeurs ainsi que le patronat allemand »

Les taux de change précis suite à la dissociation de l’euro ne peuvent pas être déterminés à l’avance, mais pour fixer les idées, un Franc à 1,1 $ et un Mark à 1,6$ sont considérés comme assez vraisemblables. Dans ce cas :

- Le litre d’essence qui valait 1,5 € vaut 1,61 Franc - car le prix du pétrole lui-même c’est seulement 33% du prix total, le reste sont des taxes

Essence.jpg

1,5 € -----> 1,61 Franc

- Le smartphone qui valait 400 € vaut 490 Franc - il est en effet généralement fabriqué en zone dollar

Smartphone.jpg

400 € -----> 490 Franc

- La voiture de luxe allemande qui valait 30 000 € vaut 43 600 Franc - c’est qu’elle est fabriquée en Allemagne

Voiture_de_luxe.jpg

30 000 € -----> 43 600 Franc

Ce n’est pas qu’une « dévaluation externe » soit indolore. C’est qu’une dévaluation externe est de très loin la moins douloureuse option pour la grande masse des Français, et surtout la meilleure option pour la France afin qu’elle relance son industrie, plutôt que de sombrer dans une crise gravissime comme l’Espagne ou à un degré moindre l’Italie suite à leurs tentatives de réaliser une dévaluation interne.




Ceci est un article ‘presslib’, c’est-à-dire libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Le Noeud Gordien est un site d’analyses et d’investigations sur la Crise. Article écrit par Alexis TOULET. Merci de visiter notre site