Le dictionnaire Larousse en ligne définit la démocratie comme :

"Système politique, forme de gouvernement dans lequel la souveraineté émane du peuple"

La question est donc celle de la souveraineté, c’est-à-dire du pouvoir : qui décide en dernier ressort.

Dans une démocratie classique, c’est le peuple qui doit décider en dernier ressort, soit par l’intermédiaire des représentants qu’il a élus - les parlementaires qui décident de ses lois, le président et le gouvernement qui dirigent le pays - soit directement par référendum.

Où en est la démocratie française - Sommes-nous encore en République ?

Les institutions de la France ne sont en apparence pas moins démocratiques qu’il y a trente ou quarante ans. Mais au-delà de la description précise du fonctionnement des institutions, la réalité de la démocratie s’apprécie par un critère clair : le peuple a-t-il la possibilité effective de changer une politique qu’il rejette ?

La possibilité existe toujours, mais de manière de plus en plus ténue. Elle est de moins en moins effective, du fait de plusieurs changements qui pris ensemble rendent beaucoup plus difficile de changer certaines politiques, et qui ont de fait largement vidé la démocratie française de sa substance.

1. C’est ainsi que le traité de l’Union européenne inclut l’obligation pour le parlement de transposer dans le droit français les directives européennes, lesquelles ne sont que les décisions d’un aréopage de hauts fonctionnaires internationaux non élus. Ces technocrates sont hors de tout contrôle démocratique autre qu’extrêmement indirect – par le biais des gouvernements des différents pays de l’UE, ce qui est de plus en contradiction absolue avec les principes de séparation des pouvoirs qui sont une caractéristique classique des démocraties depuis Montesquieu et le XVIIIème siècle.

Ce qui signifie qu’une bonne partie de nos lois est formée en dehors de toute démocratie, qu’elles ne représentent plus la volonté générale, et que le peuple n’est plus souverain. Ceci est en contradiction frontale avec les articles III et VI de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, laquelle figure en exergue de notre Constitution.

Article III - Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément

Article VI - La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation. (...)

Cette déclaration n’est jamais que le point de départ et le socle le plus fondamental de la Révolution française...

2. Un deuxième facteur essentiel est la possibilité que laisse notre constitution de faire approuver une modification par l’Assemblée seulement, sans ratification par référendum – parmi tous les pays de l’UE, seule la constitution de l’Irlande dispose que le peuple doit ratifier toute modification de la constitution. C’est de cette manière que le refus de la constitution européenne en 2005 a pu être annulé par le parlement en 2008 lorsqu’il a approuvé l’actuel traité européen - dit "de Lisbonne" - modifiant la constitution française par la même occasion afin de l’adapter aux exigences du traité.

C’est un cas rarissime, peut-être unique, où l’on pourrait taxer De Gaulle de naïveté : le Général commentait devant Alain Peyrefitte la disposition permettant de modifier la constitution avec la seule Assemblée en disant qu’elle n’était faite que pour les "réformettes" (1) ... Il n’avait pas prévu que laisser ouverte cette possibilité permettrait à l’élite politique de faire passer des décisions importantes contre la volonté populaire explicite que ce soit pour le traité de Lisbonne, soit la "constitution" européenne à peine reformulée, ou bien sans aucune consultation populaire comme pour le traité d’Amsterdam en 1999. C’est qu’en affirmant que l’Assemblée ne devait se permettre de réformer la constitution toute seule que pour des petits ajustements à la marge, De Gaulle utilisait un argument de décence. Or un tel argument n’arrête pas forcément tout le monde...

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Annuler le vote du peuple serait indécent et scandaleux

Oui, mais... cela n’empêche rien !

Ce ne sont probablement pas les seules dérives tendant à neutraliser la démocratie, mais certainement les deux principales.

Restaurer la démocratie - comment ?

Rien n’empêche de mettre fin à cet état de fait. Il suffit - mais c’est indispensable - d’élire un président de la République et une Assemblée qui reprennent à l’Union européenne le droit de décider des lois de la France à la place des Français et des députés qu’ils élisent, et qui changent la constitution en conséquence, après les divers triturages récents de notre constitution qui l’ont justement mise en conformité avec les exigences des divers traités européens - plutôt que faire l’inverse ne signer que des traités conformes à notre constitution, ce qui aurait permis de préserver notre démocratie.

C’est tout à fait faisable. La limitation pratique, c’est évidemment que cette possibilité ne se présente qu’une fois tous les cinq ans, car c’est seulement lors des élections du président et du parlement que s’ouvre la chance pour la France de redevenir pleinement une démocratie.

Voici les positions des candidats au second tour de la présidentielle sur le sujet de la démocratie :

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Macron et Le Pen - des projets aux antipodes

Démocratie parlementaire renforcée par le référendum vs. Dictature technocratique se protégeant du peuple

On a parfaitement le droit de refuser de revenir en démocratie naturellement. On est en droit de préférer une dictature technocratique, ou si l’on a peur des mots une "démocratie dans les limites permises par l’UE"... de même que certains ont pu préférer ce qu’ils appelaient une "bonne dictature" (2) Question d’opinion, et la liberté d’opinion est garantie. Ce choix nous est d’ailleurs proposé dans ce second tour puisque l’un des candidats défend l’Union européenne telle qu’elle est - à moins qu’il ne veuille aller plus loin dans la même direction, la chose n’est pas claire.

L’autre candidate veut rétablir la démocratie - souveraineté du Parlement français, non de hauts fonctionnaires non élus - et même la renforcer par le référendum d’initiative populaire, levier supplémentaire pour que le peuple participe aux décisions qui le concernent, garantie supplémentaire contre toute nouvelle tentative de confisquer à l’avenir la démocratie. (3)

Préserver la démocratie

Si nous décidons collectivement de rétablir la démocratie dans notre République, c’est-à-dire de ramener au Parlement français la responsabilité de faire nos lois, nous aurons recouvert le pouvoir de décider en dernier ressort. Il s’agira alors de le défendre, et de préserver notre démocratie.

Il faut juste ne pas se tromper de combat. Voter Emmanuel Macron, c’est tout à fait judicieux si on veut que rien ne change en UE et surtout pas la confiscation de la démocratie. Voter Macron pour défendre la démocratie... ce serait un contresens absolu.


1 - Citons le fondateur de la Vème République in "C’était De Gaulle" (Alain Peyrefitte, tome II, chapitre 11)

"Pour une modification sérieuse de la Constitution, il faut le référendum ! Une réforme des institutions que le peuple tout entier a mises sur pied en 1958 ne peut être décidée que par le peuple ! (...) Le Congrès, c’est bon pour les réformettes !

(...) Il faut donner aux Français l’habitude de se prononcer par eux-mêmes directement"

2 - Remarquons toutefois qu’ils ont souvent fini par le regretter.

3 - Outre la représentation proportionnelle à tous les étages, elle propose notamment une véritable révolution concernant le référendum :

 « La première réforme consiste à étendre le champ du référendum à l’ensemble du domaine de la loi sans aucune restriction, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui (modification de l’article 11) ».

« La deuxième réforme porte sur la création d’un véritable référendum d’initiative populaire, en remplacement du référendum d’initiative partagée actuelle dans la Constitution (lequel nécessite la signature d’un cinquième des parlementaires et d’un dixième du corps électoral, soit plus de 4 millions de signatures).

 »L’objectif d’une telle mesure est de permettre le déclenchement automatique d’un référendum sur tout projet de loi ayant recueilli 500 000 signatures de citoyens inscrits sur les listes électorales, comme en Suisse. Désormais les Français pourront eux-mêmes déclencher les référendums.« 

 » La troisième réforme vise à confier l’exclusivité du pouvoir constituant au peuple. En d’autres termes, la Constitution ne pourra être modifiée par le Congrès réuni à Versailles, mais seulement par le peuple, par la voie du référendum (modification de l’article 89)."