Série "Les leçons de choses du Lundi" - N°2

Voici comme premier exemple la très récente chanson du groupe Fabrika, intitulée Vova Vova, c’est-à-dire « Vladimir ! Vladimir ! » en forme familière et affective. Le clip est tout à fait d’actualité, bien coordonné avec les échéances électorales russes. L’argument en est assez simple : trois jeunes femmes préparent l’une d’entre elles qui va bientôt épouser un homme qu’elles vantent toutes à grands cris, rêvant assez peu habillées sur ses photos en prenant des poses plus que suggestives, voire directement sexuelles. Cet homme idéal et adulé est bien entendu Vladimir Poutine.

Dissipons tout risque de malentendu : il ne s’agit pas d’une caricature ironique préparée par des opposants. Le message est vraiment du premier degré, sur un ton humoristique sans doute, mais destiné à faire sourire, certainement pas à ridiculiser. La vidéo se termine sur une affiche électorale du président sortant « Mon choix »

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« Vladimir ! Vladimir ! »

Épouser l’homme idéal

Autre exemple révélateur, quoique faisant plutôt partie d’un marketing "de fond" en continu sans lien direct avec l’élection puisqu’il date de la fin 2017, ce clip où une députée de Russie Unie le parti du président accompagne les enfants d’une école de cadets qui chantent leur attachement au président : « Tonton Vlad’ on est avec toi »

C’est bien au président, et non au pays, que ces enfants, dont certains vraiment petits, disent leur loyauté, même s’il les appelle « au dernier combat ». 

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« Tonton Vlad, on est avec toi ! »

Apprendre la loyauté dès le plus jeune âge

Voici quelques extraits de leur chant, dont le texte original est ici :

Le XXIe siècle est arrivé, la Terre est fatiguée des guerres
La population de la planète a sorti l’Hégémon
Dans l’Union européenne pas d’opinion, le Moyen-Orient gémit de douleur
Par-delà l’océan, le président est privé de pouvoir

Des mers du nord jusqu’aux lointaines frontières du sud c’est à nous
Des îles Kouriles jusqu’aux côtes de la Baltique
Que la paix règne sur Terre, mais si le commandant en chef
Nous appelle au dernier combat - Tonton Vlad’ on est avec toi !

Qu’arrivera-t-il à ma génération
Si elle montre de la faiblesse, nous perdrons tout le pays
Mais nos véritables amis sont la Marine et l’Armée

(...)

Sébastopol est à nous avec la Crimée, nous les préserverons pour nos descendants
Nous retournerons l’Alaska à la Mère Patrie

A noter que des russophones ont pu remarquer que le russe de cette chanson est pauvre et argotique, ses rimes sont plates - à l’époque soviétique au moins, la propagande était faite par de vrais hommes de lettre, la langue en était magnifique, on en faisait de vrais poèmes ! Ce n’est plus ce que c’était... tout fiche le camp, en somme.

Élites déchaînées et autocratie

Il faut dire quelque chose pour les dirigeants russes : ils osent. Pour comparer avec les élections présidentielles de 2017 en France, et en reconnaissant que tous les médias d’Etat et privés n’ont pas toujours été absolument et parfaitement impartiaux - que l’on pardonne à l’auteur cette litote - il reste que nous n’avons quand même pas eu droit à un trio de demoiselles peu habillées en train de se pâmer en criant « Manu ! Manu ! ».

En Russie cependant, tout est encore plus ouvert et le cynisme des élites, qui servent et que sert le président, se porte plus haut que chez nous, en ce domaine comme pour ce qui est de l’accaparement des richesses.

L’espèce de culte de la personnalité qui s’est progressivement constitué autour de Vladimir Poutine, aidé par les conflits avec le Bloc occidental notamment autour de la guerre civile ukrainienne, a fini par faire basculer le système politique russe dans la direction d’une véritable autocratie de fait, même si les formes extérieures restent celles d’un système démocratique. Cela ne peut manquer de susciter l’inquiétude quant à la stabilité de la Russie à moyen / long terme, car le propre d’une autocratie est d’être d’autant plus fragile lors d’un changement de pouvoir qu’elle est verrouillée sur le court terme. Surtout lorsque aucun successeur désigné n’est en vue, ce que signe clairement la loyauté personnelle promue par textes et chansons. Vladimir Poutine a 65 ans, il est au pouvoir directement ou indirectement - lorsqu’il occupait le poste de premier ministre, Dmitri Medvedev étant le président en titre - depuis maintenant dix-huit ans : tôt ou tard il devra passer la main, mais comment faire ? La transition, inévitable à terme et dès 2024 sauf modification de la constitution, ne peut être qu’un risque maximum dans un système si personnalisé.

Et la technocratie ?

Il est vrai que la technocratie aussi présente des risques pour la stabilité, et l’Union européenne le démontre de plus en plus clairement. Les élections nationales à potentiel fortement troublant ont tendance à se multiplier en UE, l’Allemagne dernièrement, et l’Italie ira-t-elle à terme jusqu’à une forme de rupture ? Sans compter le risque pas du tout négligeable que crise bancaire et / ou crise de la dette publique ne resurgissent sous une forme ou sous une autre, peut-être la prochaine fois dans un pays plus "gros" que la Grèce voire que l’Espagne. Sans compter la possibilité que la migration de masse ne reprenne une ampleur comparable à celle de 2015, ce qui aurait des conséquences politiques imprévisibles...

De l’Union européenne et de la Russie, laquelle a le système politique le plus fragile, laquelle risque le plus des événements déstabilisants, voire brisants, et le plus tôt ? Impossible à discerner - seule l’expérience le dira.