Les derniers sondages placent Emmanuel Macron entre 60 et 64% d’intentions de vote pour le second tour, Marine Le Pen étant bloquée à 40% tout au plus. Après la qualification du candidat d’En Marche pour le second tour, à la fois la Bourse et les dirigeants de l’Union européenne poussèrent un grand soupir de soulagement, tant la perspective d’un duel Le Pen - Mélenchon était crainte comme une catastrophe irrémédiable. Comme le rapportait le Soir de Belgique :

Un acteur de très haut niveau de la politique européenne, que nous interrogions cette semaine sur la réaction envisageable en cas d’un deuxième tour Le Pen - Mélenchon, nous a fait cette réponse cynique : «  Se tirer une balle dans la tête  ? »

Dans l’euphorie, la Bourse a donc immédiatement pris +4%. Le chef de la diplomatie allemande Sigmar Gabriel ne cachait pas son triomphalisme, n’hésitant pas dimanche soir à s’affirmer «sûr» qu’Emmanuel Macron deviendra président :

«Bien sûr je suis heureux (...) je suis heureux qu’Emmanuel Macron devienne le prochain président français»

Marine Le Pen n’a aucune chance de victoire...

La grande majorité des autres candidats ne perdait pas de temps pour apporter leur soutien à la candidature Macron, à commencer par François Fillon. Jean-Luc Mélenchon, quoique refusant de se prononcer à la place de ses soutiens comme de faire semblant d’être propriétaire des voix qui l’ont soutenu, organisait une consultation dans son mouvement qui ne laissait comme options que le vote Macron ou l’abstention, excluant donc quoi qu’il en soit le vote Le Pen.

Responsables syndicaux, responsables patronaux, responsables religieux se partageaient de même entre soutien explicite à Emmanuel Macron, majoritaire, et neutralité bienveillante à son égard pour une minorité. En dépit de la neutralité des médias, imposée par la loi en cette période d’entre-deux-tours, le volume des messages appelant les Français à soutenir Macron - ou à s’opposer à son adversaire, ce qui revient bien évidemment strictement au même - prenait donc la dimension d’un véritable tir de barrage.

Quelles que soient les interrogations sur l’abstention, quels que soient ses talents de candidate, il paraît impossible pour Marine Le Pen de convaincre 10% à 14% supplémentaire du corps électoral de la soutenir, sous deux semaines, dans des conditions pareilles.

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L’état des sondages du second tour - pour Marine Le Pen, l’objectif est de faire changer d’avis 10 à 14% du corps électoral

... Sauf qu’un tel exploit ne serait pas sans précédent, et assez récent encore

La tâche pour la candidate présentée par le Front National est rude, pour dire le moins. Cependant, l’exploit qui consisterait à convaincre 10% des Français de changer leur choix d’Emmanuel Macron à sa candidature ne serait pas sans précédent.

Lors du vote sur le traité pour une constitution européenne en 2005, les sondages initiaux donnaient un niveau d’au moins 65% pour le Oui. Et ce niveau s’est longtemps maintenu, alors que la campagne électorale battait son plein, et que le contenu exact du traité était lu, analysé, disséqué, le tout sur le fond de messages presque unanimes, parfois même stridents, de la part de la grande majorité des responsables politiques et économiques.

Puis... les arguments des partisans du Non finirent par porter, et en l’espace de deux semaines, le Oui s’effondra de quinze points dans les sondages et passa en-dessous de la barre des 50%. Une semaine de plus, et il touchait l’étiage de 45% qui fut celui du jour du vote.

C’est-à-dire qu’environ 20% du corps électoral avait changé leur vote du Oui vers le Non, ceci en moins de trois semaines.

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Entre le 3 mars et le 17 mars 2005, les courbes des partisans du Oui et du Non se sont croisées. En deux semaines, environ 15% du corps électoral avait basculé de l’approbation au refus du référendum. Une semaine encore, et le total atteignait les 20%

Des phénomènes de bulle financière, transposés en politique

Dans le succès ébouriffant d’un jeune ministre qui moins d’un an après avoir démissionné d’un gouvernement où il avait su imprimer largement sa marque a réussi à fonder un mouvement politique d’abord attirant l’attention bienveillante des grands médias, puis s’imposant en tête du premier tour de la présidentielle et exerçant une force de traction apparemment irrésistible à la fois sur l’aile droite du parti socialiste et l’aile modérée de LR... se trouve un grand paradoxe.

Emmanuel Macron, par son parcours, par ses soutiens notamment oligarchiques, par ses idées et son positionnement, est le concentré même de ce qu’un nombre de plus en plus important de Français en est arrivé à tort ou à raison au moins à remettre à question, sinon à carrément rejeter - mondialisation économique débridée, politique libérale et d’austérité, service des intérêts bancaires, soumission de la politique de la France à des institutions UE non élues - en même temps qu’il apparaît comme l’héritier et le continuateur du mandat présidentiel le plus décrié de l’histoire de la Cinquième République.

C’est pourtant bien lui qui se retrouve dans la position d’avoir à préserver ce qu’il est convenu d’appeler de manière fort vague "le système" - plus précisément, le complexe des intérêts croisés Institutions UE / grandes banques / multinationales / grands médias - et en fait d’être sa dernière ligne de défense, la solution de secours alors que les deux principaux partis "de gouvernement" de gauche et de droite viennent de s’effondrer.

Comme le dit très justement l’essayiste américain David Goldman, "Macron is pure bubble" - Macron est un phénomène de bulle, semblable à celles qui se forment périodiquement sur les marchés financiers. C’est-à-dire qu’il est très fragile. Car toutes les bulles finissent par éclater.

La question est de savoir quand. Si c’est après le 7 mai, le résultat du second tour n’en sera évidemment pas influencé, quoique cela pourrait compliquer quelque peu la tâche du président Macron - pour dire le moins.

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Marine Le Pen est à la recherche d’une aiguille...

L’élection comme référendum

C’est une évidence que les projets d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen sont pratiquement diamétralement opposés.

La stratégie politique de la candidate du Front National ne fait pas de mystère. Elle attaque avant tout le projet de son adversaire, elle tente par tous les moyens de faire de la différence de projet l’enjeu essentiel du scrutin, d’inciter les Français à examiner et à analyser celui d’Emmanuel Macron de la même manière qu’ils s’informèrent du contenu du traité sur la constitution européenne - dans l’espoir d’arriver à déclencher le même genre de phénomène de recul et de rejet que celui de mars 2005.

Deux semaines est un temps très court. Dix à quatorze points à déplacer, c’est certes moins que quinze ou vingt, mais cela reste absolument considérable. Le succès de Marine Le Pen est tout sauf garanti, sa fenêtre d’opportunité est fort étroite.

Mais elle est bel et bien ouverte. Et le nom du prochain Président de la République n’est pas déterminé à l’avance.