Voici quelques réflexions sur le phénomène Trump, sa signification et son impact possible. Il s’agit d’un article de Richard Fernandez sur le site PJ Media (en anglais)

En guise de préliminaires, notons qu’il faut commencer par mettre de côté le présupposé de l’auteur comme quoi - en caricaturant à peine son propos - "tout ce qui va mal est de la faute d’Obama", présupposé évidemment partisan et creux. Mais le reste de ses remarques sont assez bien vues. Certains des commentateurs que cet auteur cite sont d’ailleurs très à gauche - le genre de constat dont il s’agit n’est pas affaire d’orientation politique.

Quelques passages marquants :

(...) "Hillary Clinton ne peut vaincre ce que Trump représente" c’est-à-dire une rébellion contre la "globalisation néolibérale" à la recherche d’un meneur.

(...) L’élection est en fait un référendum. Les électeurs veulent retrouver leur pays et leurs emplois. Ils comprennent que les élites du statu quo, laissées à elles-mêmes, ne les leur rendront jamais. Ils se tournent donc vers Trump pour qu’il soit non pas un chef, mais une boule de démolition de ce dont ils ne veulent plus. (1)

(...) Ce qui nourrit le phénomène Trump est le rejet en lui-même : ceux qui pensent que le train est sur le point de tomber dans un ravin veulent tirer le signal d’alarme qui stoppera le train, même s’ils ne savent pas ce qui se passera ensuite.

L’élection de 2016 n’a aucun sens à moins qu’on ne la regarde depuis l’extérieur du système, car c’est le système lui-même qui est en procès (2) De ce point de vue, ce rejet est loin d’être aussi dénué de sens que ses critiques le prétendent.

(...) Peut-être la meilleure métaphore de l’élection de 2016 (est-elle) la casse au billard, ou la réinstallation d’un système d’exploitation infecté par un virus.

(...) Cela suggère que le vainqueur de 2016 sera probablement une figure de transition plutôt que l’initiateur d’une tendance durable. Le gagnant sera probablement dépassé par les événements dans cette période de flux. Mais peu importe. L’objectif est d’arrêter le train, même si on ne sait pas ce qui arrivera ensuite.

(...) Nous pourrions être dans l’une de ces situations où il faut attendre que l’Histoire se mette en mouvement. La situation est quelque peu complexifiée du fait que nous ne savons même pas ce que nous attendons. La consolation, c’est que nous le reconnaîtrons quand nous le verrons.

Il est déjà suffisamment évident que la France est dans une situation bloquée, que les Français en souffrent et que le pessimisme se répand. On ne souligne pas assez que la situation du point de vue de la majorité des Américains est sans doute encore pire :

  • Le taux d’emploi parmi les adultes s’est effondré suite à la crise de 2008 et n’est jamais remonté - le taux officiel de chômage ne baisse que du fait des millions qui abandonnent toute recherche d’emploi
  • L’immigration illégale est estimée aux alentours de 11 millions de personnes, à comparer avec environ un demi-million en France, soit après correction suivant la population environ quatre fois plus, ce qui contribue encore à augmenter la concurrence pour le faible nombre d’emplois disponible
  • Le système social américain est beaucoup plus léger que le français, le "filet de sécurité" est très lâche
  • Enfin, le rôle de l’argent en politique est ouvert et évident, la grande majorité des politiciens "classiques" - à l’exception donc de Donald Trump chez les Républicains et Bernie Sanders chez les Démocrates - étant concernés

Un très grand nombre d’Américains non seulement refusent cet état de choses, mais sont prêts à prendre des risques pour le refuser. Redémarrer le système, refuser à la fois les politiciens classiques d’un côté et de l’autre, ils semblent prêts à s’y résoudre.

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Etes-vous sûr de vouloir redémarrer le système ?

Mais il n’est pas du tout certain qu’en cas de redémarrage, les choses se passeraient comme les partisans du milliardaire l’espèrent.

De fait, un Trump élu Président - le scénario est tout à fait réaliste, comme le montre l’évolution des enquêtes d’opinion - serait probablement très vite dépassé par les conséquences de son élection. Réinstaller un système d’exploitation infecté peut être une bonne idée... mais Trump est-il en mesure de le faire ? Une nation est d’ailleurs quelque peu différente d’un simple ordinateur. N’est pas Hercule aux écuries d’Augias qui veut. Sans compter qu’un président américain doit encore davantage compter avec le parlement qu’un président français.

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Trump comme boule de démolition ?

Mettre en mouvement de force un système bloqué est une chose, maîtriser la suite en est une autre. Il est assez facile d’imaginer un président Trump perdre rapidement le contrôle face aux impacts de ses décisions.

Un autre personnage historique a bien tenté de redémarrer un système. C’était il y a une trentaine d’années, les slogans sonnaient bien - restructuration, transparence - on allait repartir du bon pied, tout cela à partir des véritables idées du fondateur, de ce que le pays était censé être. Mais ça ne s’est pas exactement terminé comme Gorbachev l’imaginait...

Sans penser à un parallèle parfait, puisque rien ne recommence à l’identique et naturellement les situations de départ sont très différentes, il faut souligner que les réformateurs tendance dynamite prennent quelques risques. Avant tout le risque que le résultat final soit vraiment différent de leurs projets de départ...

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Mikhaïl Gorbachev - Un redémarrage peut provoquer une instabilité


1 - La déclaration de ce partisan de Trump, même si elle n’est pas nécessairement partagée par tous, vaut d’être citée : "(Donald Trump) est à 95% un clown mais à 5% un patriote, c’est pourquoi il dépasse de la tête et des épaules tous ses rivaux républicains"

2 - Rappelons que les Américains ont une opinion absolument désastreuse de leur parlement, qu’ils ne sont que 10 à 20% à approuver, et ce depuis des années...