La « mesure forte » annoncée par Emmanuel Macron lors de son allocution de jeudi soir 12 mars était la fermeture de toutes les écoles. Sera-t-elle suffisante pour freiner la progression de l’épidémie ? Rappelons que l’Italie a fermé toutes ses écoles et universités le 4 mars, alors qu’elle comptait 107 morts du coronavirus – ce qui n’a pas empêché que le 13 mars elle en recense douze fois plus. Mesure à coup sûr utile, il y a toutes raisons de croire que la fermeture des écoles sera cependant insuffisante à elle seule pour freiner véritablement la propagation du virus.
Ce qui laisse ouverte la question de la véritable stratégie choisie par le gouvernement français pour lutter contre le coronavirus.
On peut encore remarquer que Emmanuel Macron a également demandé aux personnes les plus âgées et les plus malades de rester autant que possible chez elles
C’est pourquoi je demande ce soir à toutes les personnes âgées de plus de 70 ans, à celles et ceux qui souffrent de maladies chroniques ou de troubles respiratoires, aux personnes en situation de handicap, de rester autant que possible à leur domicile. Elles pourront, bien sûr, sortir de chez elles pour faire leurs courses, pour s’aérer, mais elles doivent limiter leurs contacts au maximum
Selon certaines analyses, la véritable stratégie du gouvernement français pourrait être de compter sur l’« immunité de groupe » pour résister à l’épidémie.
C’est en tout cas la stratégie explicitement revendiquée par le gouvernement britannique de Boris Johson. Et une stratégie dont en Allemagne le président du Syndicat des médecins conventionnés Andreas Gassen parle en bien
"Cela peut sembler choquant pour le profane, mais vu sobrement, cela n’a rien de menaçant : il y a des virus qui infectent pratiquement tout le monde au moins une fois (ce qui dans le cas du coronavirus pourrait) prendre quatre ou cinq ans. Plus ce sera rapide, plus grand sera le défi pour le système de santé. Mais je ne pense pas que même si le nombre de cas augmente encore rapidement, nous atteindrons nos limites"
Alors qu’est-ce au juste que l’immunité de groupe ? Et est-il raisonnable de compter dessus en face de l’épidémie de coronavirus ?
Qu’est-ce que l’immunité de groupe ?
L’immunité de groupe est un phénomène qui permet de bloquer la propagation d’un virus dans un groupe dont pourtant seule une partie est immunisée. En quelque sorte, ce sont les immunisés qui protègent les vulnérables. Pour cela, il est nécessaire que lorsque le virus "cherche" à se propager à partir d’un individu infecté, il rencontre suffisamment souvent un individu immunisé - qu’il ne peut infecter - pour que sa propagation s’épuise rapidement.
A titre d’exemple, imaginons un virus qui dans des conditions idéales pour lui se propagera à deux personnes à partir de chaque individu infecté. Si c’est dans une population dont plus de la moitié est immunisée, alors l’une de ces deux personnes sera immunisée et le virus ne se propagera qu’à une seule personne, voire à aucune si celle-là est immunisée aussi. Le calcul montre que sa propagation s’arrêtera assez vite - la contagion est évitée.
Pour qu’il y ait immunité de groupe, il faut que la proportion d’individus immunisés passe un certain seuil, qui se calcule comme Seuil = 1 - (1/ R0), R0 étant le taux de reproduction de base de la maladie, c’est-à-dire le nombre moyen de nouvelles infections qu’une personne infectée va générer dans une population qui n’a pas été exposée au virus auparavant. Le R0 du coronavirus SARS-CoV-2 est diversement estimé entre 2,2 et 3,5, avec une médiane dans la littérature scientifique qui s’établit à 2,79. L’immunité de groupe au coronavirus serait donc atteinte à partir du moment où la proportion de la population ayant déjà été porteur du virus SARS-CoV-2 et y étant donc immunisée atteindrait un seuil situé entre 55% à 71% de la population, avec une médiane à 64%.Combien de Français devraient-ils développer la maladie Covid-19 avant que l’ensemble des autres soient protégés ?
Cela dépend de la proportion des personnes porteuses du virus qui ne développeront jamais cette maladie, parce que leur organisme y résistera. D’après les données fournies par le cas du navire de croisière Diamond Princess, dont la situation a pu être étudiée en grand détail, et qu’a rappelées l’Institut Pasteur, l’infection serait asymptomatique ou paucisymptomatique – pas ou peu de symptômes – chez 30% à 60% des patients infectés – c’est-à-dire que 70% à 40% d’entre eux seulement développeraient la maladie Covid-19.
En définitive, en combinant les hypothèses optimistes, on arrive à une proportion de 40% * 55% = 22% de la population qui devrait développer la maladie avant que l’immunité de groupe soit atteinte, et à une proportion de 70% * 71% = 50% en combinant les hypothèses pessimistes, l’hypothèse intermédiaire étant une proportion de 64% * 55% = 35%.
S’agissant de la population française estimée à 67 millions, le seuil d’immunité de groupe nécessiterait donc que 15 à 33 millions de Français développent la maladie à coronavirus – c’est-à-dire ne soient pas simplement des « porteurs sains », mais subissent pour de bon la maladie, même sous sa forme relativement bénigne – avec une médiane à environ 23 millions de malades nécessaires.
Il est donc possible que la stratégie du gouvernement doive être comprise ainsi : protéger les plus âgés "de plus de 70 ans" et les plus malades en demandant à eux seuls d’appliquer la quarantaine, laisser les autres continuer leurs activités notamment professionnelles en appliquant simplement quelques mesures pour limiter la vitesse de la contagion - mais sans espérer la stopper - puis lorsqu’un nombre suffisant de Français - entre 15 et 33 millions - auront eu la maladie il sera possible de relâcher les mesures, le virus étant vaincu par effet d’immunité de groupe.
La stratégie consiste en un mot à sacrifier un petit nombre de jeunes - entendre : des gens en-dessous de 70 ans - afin de sauver un grand nombre de vieux et de malades, cela sans suspendre l’économie ou plus exactement les activités économiques autres qu’essentielles soit en gros alimentation, santé, réseaux eau et électricité, pompiers et police. Bref, vaincre la maladie pour beaucoup moins cher qu’une suspension radicale comme celle qui a réussi en Chine ou celle que tente l’Italie.
Quelles sont les chances de succès d’une stratégie d’immunité de groupe ?
Nulles.
La question à poser est la capacité de la société française – de n’importe quelle société d’un pays développé – à supporter ce genre d’« épreuve du feu » tout en continuant à assurer le plus clair des activités économiques. En effet, c’est bien le maintien en marche de l’ensemble de l’économie, plutôt que seulement de l’essentiel, qui est visé. C’est l’avantage revendiqué de la stratégie d’immunité de groupe par rapport à la stratégie de confinement et quarantaine qu’a adopté l’Italie.
Une partie de la réponse doit faire intervenir la psychologie collective, et bien sûr les prédictions dans ce domaine sont notoirement difficiles et incertaines – j’en parlerai plus loin.
Une autre partie de la réponse est plus quantifiable. Les unités de soins intensifs des hôpitaux français sont-elles capables de faire face à l’afflux de patients que cette stratégie causerait ? Clairement, non !
La France compte environ 5 500 lits de soins intensifs, dont une partie est à l’évidence déjà occupée par des malades. Imaginant même qu’un effort titanesque permette de créer assez de nouveaux lits pour placer l’ensemble des malades actuellement en soins intensifs - rappelons qu’il s’agit de services de haute technicité, avec un matériel rare, servi par des personnels spécialement formés - les hôpitaux français ne pourraient pas accueillir plus de 5 500 malades du coronavirus en soins intensifs à la fois. Sachant qu’ils ont besoin en général d’au moins 3 semaines de ce traitement avant d’éventuellement se remettre, le système de santé français ne pourrait pas traiter les malades en soins intensifs à un rythme supérieur à 5 500 * 52 / 3 = 95 000 par an, même dans ce cas favorable probablement irréaliste.
Mais si 15 à 33 millions de Français développaient la maladie Covid-19, combien d’entre eux auraient-ils besoin de soins intensifs ? On peut l’estimer grossièrement à partir des retours d’expérience chinois donnant 6% de l’ensemble des malades en soins intensifs et 2,3% de décès, c’est-à-dire que le nombre de patients en soins intensifs est environ 2,6 fois plus élevé que celui de décès prévisibles.
Et combien de décès prévisibles dans la population des moins de 70 ans si 15 à 33 millions d’entre eux avaient la maladie ?
Estimer les décès prévisibles
La probabilité de décès du fait du coronavirus pour les malades recevant les meilleurs soins est estimée comme suit
D’autre part, l’INSEE fournit la répartition par âge de la population française :
- 8,0 millions entre 60 et 69 ans
- 8,8 millions entre 50 et 59 ans
- 8,6 millions entre 40 et 49 ans
- 24,1 millions entre 10 et 39 ans
- enfin, 7,8 millions en-dessous de 10 ans
Le croisement des chiffres de population et des probabilité de décès mesurées en Chine mène à une estimation de 485 000 décès si l’ensemble de ces 57,3 millions de personnes développaient la maladie. Cependant, compte tenu d’une estimation de 15 à 33 millions de malades avant d’atteindre le seuil d’immunité de groupe, le nombre des décès prévisible est réduit en proportion, dans une fourchette de 127 000 à 279 000 décès de personnes de moins de 70 ans.
En définitive, le nombre de patients à traiter en soins intensifs serait de 2,6 fois le nombre des décès finaux, soit 330 000 à 720 000 patients en soins intensifs. Dans l’hypothèse favorable plus haut de 95 000 patients pris en charge en soins intensifs chaque année, le système de santé français ne parviendrait donc à tenir que si l’arrivée des patients était étalée sur une période de 3,5 à 7,5 ans !
L’effondrement inévitable des services de soins intensifs
Le virus aura-t-il l’amabilité de ralentir suffisamment sa propagation pour que les patients puissent tous être traités ? Non, bien sûr. Le phénomène a une progression exponentielle, en France comme en Italie, comme dans tous les pays qui à la différence de Taiwan ou de Singapour n’ont pas réagi à la fois très rapidement et en multipliant les tests auprès des contacts des malades connus pour bloquer la progression.
C’est ainsi que le nombre de cas de coronavirus détectés en France augmente à un rythme stabilisé depuis cinq jours aux environs de 26%. Pour fixer les idées, ce rythme correspond à :
- Doublement en 3 jours
- Multiplication par 5 en une semaine
- Multiplication par 10 en dix jours
- Multiplication par 1 000 en un mois
Même s’il est permis d’espérer que la fermeture des écoles et les autres mesures annoncées le 12 mars par le président diminue un peu ce rythme - en Italie, qui a fermé les écoles le 5 mars, il a été réduit à environ 20% par jour - ce rythme correspond encore à un doublement en 4 jours, c’est-à-dire à une multiplication par 1 000 en quarante jours.
La question n’est pas si les unités de soins intensifs de France seront submergées par une telle progression, mais quand elles le seront. Rappelons que la Lombardie, région italienne la plus touchée par l’épidémie, a vu ses services de soin intensif débordés le week-end dernier 7-8 mars. Rappelons que la France n’a que 8 à 10 jours de retard sur les chiffres italiens du coronavirus. Clairement, c’est une question de jours, pas de semaines.
Lorsque les services de soin intensif d’un pays sont débordés, la proportion des décès parmi les malades du Covid-19 monte en flèche au-delà de la valeur de 2,3% observée en Chine. En Italie, elle a largement dépassé les 6%
Les conséquences de l’échec
Imaginer que des services de soins intensifs parviendront à prendre en charge dans de bonnes conditions, avec un taux de décès limité aux environs de 2,3%, les malades causés par une épidémie que l’on ne cherche qu’à ralentir au lieu de prendre toutes les mesures nécessaires pour la stopper, c’est prétendre qu’en renforçant et élevant une digue, on parviendra à s’opposer avec succès à un tsunami.
Ou encore c’est vouloir prendre d’assaut des nids de mitrailleuse en terrain découvert avec une masse d’hommes chargeant baïonnettes au canon et poitrines au vent, dans le plus pur style de la doctrine d’ « offensive à outrance » appliquée lors de la désastreuse bataille des frontières d’août 1914.
Est-il probable que le gouvernement applique vraiment une telle stratégie ? A chacun de l’apprécier.
Est-ce possible, certainement. Voir justement l’exemple de la doctrine militaire française du début du XXème siècle, et ses résultats en août 1914. Il n’est pas forcément courant qu’une organisation adopte puis maintienne une doctrine ou une stratégie faisant fi des réalités élémentaires - l’existence de la mitrailleuse il y a plus d’un siècle, le caractère exponentiel de l’épidémie aujourd’hui - mais ce n’est pas rare non plus.
L’ « immunité de groupe » de 2020 est-elle l’ « offensive à outrance » de 1914 ?
Mais les principaux concernés suivront-ils ?
La limite de la comparaison avec l’offensive à outrance de 1914, c’est bien sûr que les citoyens de moins de 70 ans ne sont pas des soldats. Il y a deux différences essentielles
Des soldats :
- Savent qu’ils risquent volontairement leur vie
- Pensent le faire pour une cause qui éventuellement justifierait leur sacrifice, telle que défense du pays ou propagation d’une idéologie
Les Français de moins de 70 ans :
- Ne sont pas pleinement conscients que la stratégie suppose qu’ils passent par l’épreuve du feu
- Ne seraient pas nécessairement convaincus que la cause – éviter la stratégie alternative et son coût la suspension des activités non-essentielles de l’économie de leur pays pendant plusieurs mois – justifierait le sacrifice de leur vie !
La réalité, c’est qu’il est difficile à imaginer que le prochain débordement des services de soins intensifs dans certaines parties de la France - la région Grand Est la première probablement - et la montée en flèche du taux de décès qui s’ensuivra soit accepté avec équanimité par les médecins d’abord, l’ensemble des Français ensuite. Le plus probable, c’est que le gouvernement décide alors de lui-même d’adopter en catastrophe la stratégie de confinement et de quarantaine, comme l’Italie, mais avec une semaine ou dix jours de décalage - et des pertes humaines multipliées en conséquence. Si le gouvernement n’agissait pas, ce serait les Français eux-mêmes qui appliqueraient cette stratégie, de manière spontanée et désordonnée, en refusant de se rendre au travail en nombre de plus en plus grand, comme les y inciteront des chiffres de décès et des descriptions d’hôpitaux devenus des mouroirs similaires à celles que la Lombardie a commencé à signaler il y a quelques jours
Le résultat serait alors un effondrement non contrôlé de l’activité, par retrait en désordre d’un grand nombre de travailleurs. Et un tel effondrement désordonné non contrôlé serait de toute évidence beaucoup plus dommageable qu’une suspension contrôlée des activités non essentielles. Ne serait-ce que parce qu’il concernerait aussi une partie au moins des activités essentielles.
En réalité, préservation des vies humaines et préservation de l’économie vont de pair !
4 reactions
1 From BA - 15/03/2020, 13:06
Alexis Toulet, combien y a-t-il de Français âgés de 70 ans et plus ?
D'après votre lien vers le site de l'INSEE, je trouve le résultat suivant :
10 634 161 Français de plus de 70 ans.
Est-ce que vous confirmez ce chiffre ?
Est-ce que ce chiffre ne pose pas un gigantesque problème à la France en mars 2020 quand le COVID 19 est présent sur tout le territoire ?
2 From BA - 15/03/2020, 14:00
Dimanche 15 mars 2020 :
Coronavirus : les simulations alarmantes des épidémiologistes pour la France.
« Le Monde » a pris connaissance d’estimations sur l’impact du virus, effectuées par les scientifiques qui conseillent l’Elysée. Cette projection évalue le scénario le plus sombre, avec les hypothèses de mortalité les plus élevées et en l’absence de mesures radicales de prévention.
Le Covid-19 sera-t-il au XXIe siècle ce que la grippe espagnole a été au XXe siècle ? C’est en tout cas le scénario le plus alarmiste sur lequel a travaillé le conseil scientifique, ce groupe de dix experts mis en place mercredi 11 mars à la demande du président de la République « pour éclairer la décision publique ». Selon ces modélisations confidentielles, dont Le Monde a eu connaissance, l’épidémie de Covid-19 pourrait provoquer en France, en l’absence de toute mesure de prévention ou d’endiguement, de 300 000 à 500 000 morts.
Précision extrêmement importante : ce scénario a été calculé en retenant les hypothèses de transmissibilité et de mortalité probables les plus élevées, et ce en l’absence des mesures radicales de prévention et d’éloignement social qui viennent d’être prises. Dans ce cas de figure, entre 30 000 et 100 000 lits de soins intensifs seraient nécessaires pour accueillir les patients au pic de l’épidémie.
Cette modélisation a été réalisée par l’épidémiologiste Neil Ferguson, de l’Imperial College à Londres. Son équipe a été sollicitée par plusieurs gouvernements européens pour établir différents scénarios de progression de l’épidémie. Elle s’appuie sur l’analyse de différentes pandémies grippales et l’évaluation de différentes interventions possibles pour endiguer la propagation d’un virus, comme la fermeture des écoles, la mise en quarantaine des personnes infectées, ou encore la fermeture des frontières.
Les résultats pour la France ont été présentés jeudi 12 mars à l’Elysée. Quelques heures avant que le président ne prenne solennellement la parole devant les Français pour expliquer « l’urgence » de la situation. Il existe des incertitudes quant aux hypothèses retenues et au comportement du virus – pourcentage d’asymptomatiques, transmissibilité, impact des mesures de quarantaine – mais « même en divisant par 2, 3 ou 4, c’est une situation très sérieuse », insiste Simon Cauchemez, l’épidémiologiste de l’Institut Pasteur qui a présenté ces modélisations. « S’il y a une situation où je serais heureux que les modèles se trompent, c’est celle-là », ajoute le scientifique en insistant sur le fait que les observations de terrain coïncident avec les prédictions du modèle et ont tout autant concouru au processus de décision.
Invité à réagir à ces chiffres, l’Elysée confirme que différentes modélisations ont été présentées jeudi matin puis jeudi après-midi à Emmanuel Macron par le conseil scientifique, mais qu’il n’existe pas de consensus parmi les scientifiques qui le composent.
« Il y a eu plusieurs documents de travail qui ont été présentés, pas de document de synthèse, explique un conseiller du chef de l’Etat. On ne peut donc pas considérer qu’une étude fournie par l’un de ses membres reflète l’avis du conseil scientifique dans son ensemble. » C’est sur la base de ces échanges que le chef de l’Etat a décidé de fermer les établissements scolaires. « Mais si l’un des scientifiques avait mis son veto à l’une des mesures envisagées, cela aurait été pris en compte. Cela n’a pas été le cas », explique-t-on à l’Elysée.
Ce conseil scientifique a été de nouveau consulté samedi matin par le premier ministre, Edouard Philippe, et le ministre de la santé, Olivier Véran. C’est à la suite de ces échanges, et devant l’accroissement du nombre de cas de Covid-19, que l’exécutif a décidé d’étendre les fermetures à tous les commerces non alimentaires hors pharmacies. « Mais les chiffres évoqués de 300 000 à 500 000 morts en c... sont infiniment supérieurs à ceux communiqués par le ministère de la santé, ils apparaissent disproportionnés », affirme l’Elysée.
Ces estimations ont permis de réaliser que les premières dispositions prises par les autorités françaises pour tenter de freiner la vague épidémique – notamment les limitations des rassemblements et l’isolement des personnes âgées – s’étaient avérées insuffisantes. Le nombre de cas de Covid-19 double maintenant toutes les 72 heures et 300 personnes sont déjà hospitalisées en réanimation.
Dans les régions où le virus est le plus présent, les services de réanimation font depuis quelques jours face à un afflux de patients graves, et redoutent de ne plus pouvoir faire face si le rythme de l’épidémie ne ralentit pas. Mardi 10 mars, le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, a annoncé que 5 000 lits de réanimation étaient disponibles en France et 7 364 lits dans les unités soins intensifs. Mais ces capacités risquent d’être vite débordées.
Dans l’urgence, des mesures de confinement exceptionnelles ont été annoncées par le chef de l’Etat et le premier ministre, dans deux allocutions prononcées à seulement 48 heures d’intervalle. Vendredi soir, la totalité des écoles françaises ont fermé leurs portes et depuis samedi minuit tous les commerces, cafés, restaurants et cinémas ont aussi tiré le rideau. Avec le passage officiel au « stade 3 » de l’épidémie et ces dispositions exceptionnelles, valables « jusqu’à nouvel ordre », le gouvernement espère enrayer la propagation du virus et « sauver des vies quoi qu’il en coûte », a assuré Emmanuel Macron dans son adresse aux Français le 12 mars. Le premier tour des élections municipales n’a, en revanche, pas été reporté, et les bureaux de vote ont ouvert comme prévu dimanche à 8 heures, malgré les mises en garde de certains experts.
L’impact de ces mesures exceptionnelles est difficile à chiffrer. « Les modèles suggèrent que cela peut être suffisant pour endiguer la première vague de l’épidémie, mais cela dépend beaucoup du comportement des gens et de la façon dont ils vont appliquer ces consignes », souligne Simon Cauchemez, en rappelant que « dans un Etat qui n’est pas totalitaire, il s’agit d’une question d’éthique personnelle ». « Cela peut faire mentir le modèle dans un sens ou dans l’autre », a-t-il insisté, appelant chacun à participer à cet « énorme effort ».
Cette dimension était au cœur du discours du premier ministre, Edouard Philippe, samedi soir : « Je le dis avec gravité, nous devons, tous ensemble, montrer plus de discipline dans l’application des mesures », a martelé le premier ministre. La communication en deux temps du gouvernement n’a, cependant, pas facilité cette prise de conscience. « C’est difficilement compréhensible. A force de faire dans la dentelle, on finit par faire des choses confuses », juge Xavier Lescure, infectiologue à l’hôpital Bichat et membre du conseil scientifique. « Mais il faut qu’on s’y habitue tous : ce qui est vrai un jour ne le sera pas forcément le lendemain ou le surlendemain et il faut qu’on vive comme cela plusieurs mois. »
Dans tous les cas, l’effet de ces nouvelles mesures dites de « distanciation sociale » ne se fera pas sentir avant plusieurs semaines. « Compte tenu du délai d’incubation – cinq jours en moyenne – et de l’évolution de la maladie sur plusieurs jours, il faut s’attendre à une augmentation du nombre de cas graves au cours des deux-trois prochaines semaines », explique Simon Cauchemez.
Lors d’une réunion de crise samedi soir, le modélisateur a présenté ce scénario à la direction de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). De nombreux hôpitaux parisiens sont déjà à saturation, et des mesures d’urgence ont été prises en fin de semaine pour libérer de nouveaux lits, notamment en réanimation. « Tous ceux qui combattent la maladie soutiennent à 100 % les mesures qui ont été annoncées et supplient l’ensemble des Français de les appliquer intégralement pour éviter que les contacts se multiplient », a déclaré Martin Hirsch, le directeur général de l’AP-HP, lors d’une intervention au journal télévisé de France 2 samedi.
Toute la difficulté consiste à calibrer la réponse, alors que les contours de l’épidémie sont encore mal définis. « C’est une situation nouvelle pour tout le monde. On n’a pas vu ce genre de choses depuis au moins une génération », souligne Simon Cauchemez.
Dans les hôpitaux, la tension est palpable. « Nous avons déjà 61 patients Covid hospitalisés, dont 20 en réanimation. Tous les lits sont occupés », constate le professeur Xavier Lescure. Lundi, il ouvrira la dernière aile de son service, soit 18 lits, pour accueillir les nouveaux malades. Les six derniers lits de réanimation seront aussi ouverts, et d’autres sont en train d’être installés dans d’autres secteurs de l’hôpital. « Le facteur limitant, ce ne sont pas les lits, mais le personnel soignant. Nous ne comptons pas les heures, mais nous manquons de médecins, d’infirmières et d’infirmiers », s’inquiète l’infectiologue. « Les personnes souffrant d’un syndrome de déficit respiratoire aigu requièrent une grande surveillance. », précise-t-il. Certains patients sont déjà sortis et bénéficient d’une surveillance à distance, mais l’hôpital est confronté à un afflux de patients de plus en plus sévères, dont l’hospitalisation pourra se prolonger sur plusieurs semaines.
Dans ce contexte tendu, ce médecin regrette que de précieuses ressources soient encore consacrées à identifier des patients zéros et des chaînes de transmission, alors que le virus circule maintenant partout. « Dans certaines zones, cela n’a plus aucun sens. On va épuiser tout le monde à faire cela », s’alarme-t-il. « Les Anglais sont beaucoup plus pragmatiques : ils ont compris que cette première bataille était perdue et qu’on allait se faire passer dessus. »
D’autres médecins sont encore plus sévères. « La parole politique n’a pas été à la hauteur », juge Djillali Annane, chef du service de réanimation de l’hôpital Raymond-Poincaré de Garche. Ce n’est donc pas surprenant qu’il n’y a pas eu une très forte adhésion des Français aux mesures prises. Ils n’ont pas saisi l’urgence. Ils continuaient de se faire la bise dans la rue. Cela relevait de l’inconscience ! » Dans son établissement, le nombre de patients Covid augmente de 20 à 30 % par jour, et rien que dans la journée de samedi quatre nouveaux cas ont été hospitalisés en réanimation. « Nous sommes armés pour affronter la vague dans les deux trois jours qui viennent. L’enjeu est de tenir dans la durée », insiste-t-il.
D’autant que les mesures prises par le gouvernement ne régleront pas sans doute pas la totalité du problème « Avec des mesures fortes comme celles qui ont été prises samedi et une très forte implication de la population, on peut potentiellement éteindre la première vague », explique Simon Cauchemez. « Mais dans la mesure où il n’y aura pas suffisamment d’immunité, qui ne peut être conférée que par la vaccination ou par une infection naturelle, il peut y avoir une seconde vague, et la question des mesures à prendre se reposera, poursuit-il. C’est toute la difficulté de cette stratégie, qui n’avait jusqu’à présent jamais été envisagée pour un virus circulant de façon globalisée, en raison de son coût économique et social. »
https://www.lemonde.fr/planete/arti...
3 From Alexis Toulet - 15/03/2020, 15:33
@BA
Oui, ce chiffre semble correct - l'INSEE est la meilleure source possible quand il s'agit de démographie.
Et oui, le problème est gigantesque. Limiter les dégâts autant que faire se peut nécessite que le gouvernement se mette debout sur les freins immédiatement.
Quand la Chine s'est mis debout sur les freins le 24 janvier, les contaminés détectés dans la province du Hubei (60 millions d'habitants) n'étaient qu'environ 600 et les morts 17. Et le phénomène de contamination est une réaction en chaîne si rapide qu'il y a eu au final 3 000 morts au Hubei, avant que les freins aient pu faire effet.
Se mettre debout sur les freins maintenant, alors que nous avons détecté 4500 contaminations et 91 morts - donc beaucoup plus tard que les Chinois dans leur épidémie à eux - cela signifie certainement que davantage de Français mourront que d'habitants du Hubei.
Mais cela reste la "moins pire" des issues encore possibles à ce stade. Le nombre des contaminations détectées a augmenté ces derniers jours d'environ +26% chaque jour. Il y a fort à craindre que chaque jour de retard coûte environ +26% sur le nombre final des morts parmi nous.
4 From BA - 15/03/2020, 21:30
France : 924 personnes contaminées supplémentaires en 24 heures. 5423 personnes contaminées en tout, 127 morts.
924 personnes contaminées supplémentaires en 24 heures, 36 morts supplémentaires en 24 heures, cette hausse du nombre de morts et des contaminations est la plus importante enregistrée en France depuis l'apparition du virus sur le territoire.
https://www.santepubliquefrance.fr/...